Extraits de textes

Le tricycle rouge

J’avais cinq ans et vouais une passion sans bornes à un tricycle rouge que je venais d’avoir à Noël. J’eus une idée de génie. Mon nouvel ami dormirait avec moi, les quatre roues en l’air. Ni une ni deux, l’habitude fut prise. Pas de doudou, ni de poupée dans mon lit, mais mon tricycle que je couvrais consciencieusement.

Á la lime

Après avoir sérieusement envisagé d’embrasser la profession de boucher, je décidai que mon amour pour les mobylettes aurait le dernier mot. Mon professeur, elle, me conseillait une carrière dans la comptabilité tant j’étais à l’aise avec le maniement des chiffres. Mais mon cœur avait parlé : ce serait la mécanique moto. Mes parents ne m’avaient pas compris. Ils m’avaient inscrit en mécanique générale dans une école de… tourneur-fraiseur ! Le premier jour fut le commencement du reste de ma vie. Entre mes mains : un cube de fer et une lime. Les prochaines minutes seraient consacrées à désépaissir. L’horreur ! En me promettant de ne pas faire ça le reste de ma vie, je m’ouvris une porte : la possibilité de découvrir le métier vers lequel l’existence me guiderait : chef d’entreprise.

Un délicieux goûter

C’était la guerre. Tout le monde en pâtissait. Nos repas ne ressemblaient plus à ce qu’ils étaient auparavant.
Heureusement, j’avais ma mère. Elle était le rayon de soleil de ma vie. Surprenante, débrouillarde et toujours le mot pour rire… Rien ne l’abattait.
Un jour, pour le goûter, elle nous présenta, à mes frères, ma sœur et moi, un gâteau qui ressemblait à un quatre-quarts. Á la dégustation, il se révéla très différent.
Il ne contenait pas de sucre.
Ma mère s’écria :
— Régalez-vous mes enfants, ceci est un trois-quarts !
Je me souviens que durant toute la guerre nous avions mangé des trois-quarts sans beurre ou sans sucre, et même des deux-quarts.
Malgré tout, notre maison garda le sourire.

Les écailles du radiateur

J’ai le souvenir d’être assise devant une assiette de poisson alors que tous les membres de la famille sont sortis de table. Je refuse obstinément de finir mon repas. Ma mère, pas décidée à céder, m’ordonne de ne pas bouger jusqu’à ce que j’avale la dernière bouchée. Elle commet une grossière erreur : elle quitte la pièce. Je me lève, fonce vers notre vieux radiateur à eau. Je jette un œil autour de moi. Personne ! Je dévisse à la hâte le bouchon et fourre cette nourriture infecte à l’intérieur du tuyau. Et je revisse le bouchon. Avec le sourire et faussement obéissante, je vais présenter à ma mère une assiette vide. Le poisson, lui, a retrouvé son élément naturel.

Direction Tunis !

Nous achetions de gros cabas en plastique à carreaux pour ranger tout ce que nous souhaitions emporter avec nous. Six mois avant le départ, ces cabas commençaient à s’empiler dans la chambre de mes parents. Lorsqu’enfin le grand jour arrivait, ce n’était que le début du périple. Nous commencions à charger la voiture à vingt et une heures. C’était si long, il y avait tellement de bagages. Le coffre était rempli à ras bord. Mes parents fixaient des barres de toit sur la voiture. Mon père se procurait des moteurs et des mobylettes  dans le but de les revendre. Nous nous retrouvions avec tout ce bazar, des matelas en supplément, et même une fois une machine à laver sur le toit. La voiture était chargée comme un bœuf. C’était très cliché. Mes trois frères et moi étions serrés à l’arrière. Mes parents gavaient notre vieille Renault au niveau de nos pieds. Durant les quatre heures de trajet qui nous séparaient de Marseille, nous étions dans une position inconfortable, pieds en hauteur.